Lettres de la religieuse portugaise
«Je suis résolue à vous adorer toute ma vie, et à ne voir jamais personne; et je vous assure que vous ferez bien aussi de n’aimer personne. Pourriez-vous être content d’une Passion moins ardente que la mienne?
Vous trouverez, peut-être, plus de beauté (vous m’avez pourtant dit autrefois, que j’étais assez belle) mais trouverez jamais tant d’amour, et tout le reste n’est rien. Ne remplissez plus vos lettres de choses inutiles, et ne m’écrivez plus de me souvenir de vous. Je ne puis vous oublier, et je n’oublie pas aussi que vous m’avez fait espérer que vous viendriez passer quelque temps avec moi. Hélas! pourquoi n’y voulez-vous pas passer toute votre vie?
S’il m’était possible de sortir de ce malheureux Cloître, je n’attendrais pas en Portugal l’effet de vos promesses; j’irais, sans garder aucune mesure, vous chercher, vous suivre, et vous aimer par tout le monde: je n’ose me flatter que cela puisse être, je ne veux point nourrir une espérance qui me donnerait assurément quelque plaisir, et je ne veux plus être sensible qu’aux douleurs.
J’avoue cependant que l’occasion que mon frère m’a donnée de vous écrire a surpris en moi quelques mouvements de joie, et qu’elle a suspendu pour un moment le désespoir où je suis. Je vous conjure de me dire pourquoi vous vous êtes attaché à m’enchanter, comme vous avez fait, puisque vous saviez bien que vous deviez m’abandonner?»
Ces chants de l’amante abandonnée ont paru, en 1669, dans un anonymat parfait, sous le titre: Lettres portugaises traduites en français. Seul le libraire Claude Barbin, «au Palais, sur le perron de la Sainte-Chapelle» est connu.
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