Les tables tournantes de Jersey
«Ce livre-ci, qui sera certainement une des Bibles de l’avenir, ne sera, je pense, publié du vivant d’aucun d’entre nous, interlocuteurs actuels des êtres mystérieux, mais quand il paraîtra... Les tables… jetteront des vérités surnaturelles dans le vrai humain; elles mêleront les atomes et les mondes, elles prouveront la fraternité des hommes avec les bêtes; l’égalité des bêtes avec les plantes, l’égalité des plantes avec les pierres; la solidarité des pierres avec les étoiles...»
Qui a déterminé les hôtes de Marine Terrace à consulter les tables ? C’est Mme Émile de Girardin. Elle se rendit à Jersey en 1853. Comment aurait-on pu résister à Mme de Girardin, un des esprits les plus avisés, les plus déliés, les plus séduisants de l’époque ? Du 11 septembre 1853 au 2 juillet 1855, Mme Hugo, Victor Hugo, Charles, Adèle, François-Victor et leurs amis interrogent les esprits sur l’autre vie, ce qui s’y passe, sous quelle forme ils revivent. Victor Hugo leur demande de nous renseigner sur le ciel et sur les étoiles, sur le paradis et les constellations, sur l’enfer et sur Dieu. Les exilés philosophent et tiennent salon littéraire avec «les voix d’Outre-Tombe».
Il y avait au nombre des assistants: Téléki, le révolutionnaire hongrois, le général Le Flô, royaliste et catholique, il y avait aussi les Allix, spectateurs sans opinions, des proscrits, comme Kesler, systématiquement rebelle aux tables. Xavier Durrieu, M. et Mme Edmond Leguevel, Théophile Guérin, Béguin et Auguste Vacquerie — le plus assidu — animèrent les Tables. Barbieux, Bénézit, le Jerseyen Pinson, Quennec, de Tréveneuc, le colonel Taly et Vickery, assistèrent à certaines séances.Les réponses sont hallucinantes. Les procès-verbaux de ces «rencontres» recueillis par des hommes de bonne foi et devant des témoins, dont deux au moins (Auguste Vacquerie et Kesler) sont de sérieux incrédules, rayonnent d’une étrangeté qui donne le vertige.
Convoqués par l’Ombre du Sépulcre («Esprits, venez ici, il y a des voyants !»), les plus illustres des «esprits» répondent aux «interviews» des proscrits de Jersey. Des abstractions fréquentent la table: l’Ombre du Sépulcre, la Critique, la Mort, l’Idée; des prophètes: Isaïe, Moïse, Mahomet, Luther; des personnages historiques: Annibal et Robespierre, Charlotte Corday et sa victime Marat; des poètes (Anacréon, Byron, André Chénier, Tyrtée); des dramaturges (Aristophane, Eschyle, Molière, Shakespeare); des philosophes et des savants (Platon, Galilée); Cervantès, Walter Scott… et même un animal: le Lion d’Androclès.
Quarante ans après la mort d’Hugo, Gustave Simon publia ces «oracles» rédigés sous la dictée des âmes. On a conservé son introduction et ses annotations.
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